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Le monitoring de santé des structures au service de l’aéronautique

Le monitoring de santé des structures au service de l’aéronautique

Le monitoring de santé des structures au service de l’aéronautique

 

 

Le contrôle de santé des structures (SHM) révolutionne la maintenance aéronautique en offrant une surveillance continue et prédictive des structures, optimisant ainsi la sécurité et réduisant les coûts et l’impact environnemental. Le projet Morpho , coordonné par le laboratoire PIMM(1), intègre capteurs, jumeaux numériques et intelligence artificielle pour le suivi et le recyclage multilatéraux complexes des structures. Ces avancées promettent de réduire les coûts de maintenance et l'empreinte écologique de ces structures tout en répondant aux exigences de l'industrie aéronautique. 
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Par Nazih Mechbal est professeur des universités et directeur du laboratoire PIMM. Docteur en robotique des Arts et Métiers, ses activités de recherche se situent dans le développement et l’application des méthodes de l’automatique théorique aux structures
Publié le 2025-02-07
Aujourd'hui, les compagnies aériennes détectent généralement les dommages par des procédures d'inspection visuelle basées sur « l’indentation permanente ». Cette dernière représente l'empreinte permanente laissée après un impact d'énergie suffisant. La profondeur de cette empreinte détermine la détectabilité des dommages lors d’une inspection visuelle.
Pour effectuer le contrôle santé ou le monitoring de l'intégrité d'une structure, de nombreuses méthodes fondées sur le contrôle non destructif (CND) sont disponibles, en plus des procédures d'inspection visuelle. Ce sont des méthodes qui nécessitent une bonne connaissance du matériau pour détecter et localiser d'éventuels endommagements. Parmi les méthodes classiques de CND, on peut citer les techniques à base d'ultrasons, de radiographie, d'émission acoustique, de courants de Foucault, de tomographie, etc.
La plupart de ces méthodes CND nécessitent une immobilisation du système et donc une perte d'exploitation. Il est alors apparu nécessaire de développer des méthodes de contrôle santé intégré (plus connu sous son acronyme « SHM » pour structural health monitoring) permettant de réaliser une surveillance in situ et de fournir en temps réel une indication sur l'état structurel de la structure. Ces nouvelles approches ont bénéficié des ruptures technologiques de ces dernières années, notamment dans le domaine du numérique et des capteurs, favorisant ainsi l'émergence de nouvelles structures dites « intelligentes » (smart structure) et rendant possibles l’acquisition et le traitement de données sur l’état de la structure à partir d’une instrumentation installée à demeure et pouvant être interrogée à tout instant et possiblement en continu.
Le SHM constitue un changement de paradigme dans les stratégies de maintenance en évitant une maintenance systématique et en adoptant une maintenance conditionnelle en surveillant en continu les signaux issus de ces structures. Ce flux d'informations offre la possibilité de mettre en œuvre des outils algorithmiques (IA, machine learning, etc.) d’aide à la décision que les techniques de CND traditionnelles ne permettent pas toujours.
Le SHM s'inscrit donc dans une stratégie à la fois économique, commerciale et sécuritaire. Il permet d'envisager une baisse des coûts de maintenance et une augmentation de la durée de vie des structures, et donc une réduction sensible de l’empreinte environnementale des structures et composants industriels sur l’ensemble de leur cycle de vie.
 
DÉVELOPPEMENT DE STRUCTURES DITES « INTELLIGENTES »
C'est dans ce contexte que s'inscrit le projet européen Morpho(2) coordonné par le laboratoire PIMM du campus Arts et Métiers de Paris. Ce projet entre dans le cadre de la feuille de route du Conseil consultatif européen pour la recherche aéronautique (Acare[3]). L’un des objectifs visés par ce programme est de faire progresser la conception, la production et l'exploitation en service de pièces et de structures multifonctionnelles et intelligentes, en mettant l'accent sur une fabrication, une maintenance et un recyclage efficaces, économiques et respectueux de l'environnement. En effet, au cours des dix dernières années, la R&D européenne a permis des progrès significatifs dans le développement de structures dites « intelligentes », principalement des structures composites, dotées de diverses fonctionnalités telles que le morphing (surfaces aérodynamiques adaptables) et l'autodiagnostic, ou le SHM. Ces technologies ont le potentiel d'améliorer encore les performances globales des aéronefs, tout en réduisant leur empreinte environnementale et sonore. Toutefois, ces avancées doivent être adaptées afin de répondre pleinement à tous les besoins aéronautiques : taux de production variables, objectifs de qualité élevés, processus d'assemblage automatisés. En outre, les politiques de fin de vie respectueuses de l'environnement, telles que le démontage et le recyclage écologiques, ne sont toujours pas mises en œuvre.
Lancé en 2021 pour une durée de quatre ans et doté d’un budget de 5 millions d’euros, le projet Morpho regroupe dix partenaires académiques et industriels, dont l’un des grands donneurs d'ordres de l'aéronautique : Safran. Il vise à concevoir et à valider un procédé industriel innovant, robuste et respectueux de l'environnement, pour fabriquer, surveiller et recycler une nouvelle génération de pales (aubes) de turboréacteurs, conçues et fabriquées en utilisant des matériaux hybrides (composite tissé en 3D et titane). Les résultats de Morpho sont conformes à la feuille de route des futurs concepts/architectures de moteurs (perspective 2030-2035 de Safran), principalement les programmes « UHBR » (Ultra High Bypass Ratio) et « Open Rotor ».
Les pales de nouvelle génération permettent de concilier légèreté, résistance, durabilité et tenue mécanique élevée. Cependant, la spécificité de ces structures, dont le corps central est en composite tissé 3D et le bord d’attaque en titane, pose des problèmes liés aux processus industriels, à la fiabilisation et à la certification, qui conduisent à des fabrications au cas par cas. Le projet Morpho a pour objectif de doter ces structures de capacités cognitives dès leur fabrication afin d’optimiser l'ensemble de leur cycle de vie.
 
LA SOLUTION MORPHO
La solution Morpho s’appuie sur des capteurs embarqués, des jumeaux hybrides pilotés par les données en service et des algorithmes d'apprentissage automatique, pour suivre en temps réel l'ensemble du cycle de vie des structures étudiées. Le réseau de capteurs est constitué de fibres optiques tissées directement dans le composite et de différents autres capteurs (piézoélectriques, de température, jauges de contraintes) imprimés directement sur la surface de la structure.
L’autre priorité du projet est le recyclage écologique des composants coûteux. Grâce au développement de nouveaux procédés liés au désassemblage des matériaux composites par choc laser et au recyclage de leurs pièces par pyrolyse, le projet Morpho travaille à offrir des produits et services aéronautiques à des coûts compétitifs et en accord avec le concept d'économie circulaire.
Aujourd’hui, les avancées dans les domaines de l’instrumentation, du numérique et de la science des données, combinées à des exigences accrues en termes de fiabilité et de sécurité ouvrent la voie à l’implémentation de nouvelles solutions basées sur une instrumentation à demeure des structures surveillées. Les technologies SHM devraient apporter aux constructeurs aéronautiques des solutions innovantes pour répondre à de nombreux défis environnementaux et opérationnels.




(1) Le laboratoire PIMM (Procédés et ingénierie en mécanique et matériaux) est une unité mixte de recherche du CNRS (UMR 8006, Ensam-CNRS-Cnam) située au sein du campus Arts et Métiers de Paris. Il s’attache à explorer et à développer des méthodes innovantes dans les domaines de la mécanique, des matériaux et des procédés industriels.

(2) Manufacturing, Overhaul, Repair for Prognosis Health Overreach.
(3) Advisory Council for Aeronautics Research in Europe.







Moteur LEAP et ses aubes (Q. Rendu, PhD, 2016).


Pièce représentative de la pale avec capteurs intégrés.