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Alfred Colin (Ch. 1855) : un Gadzarts dans la Marine nationale… américaine !

Alfred Colin (Ch. 1855) : un Gadzarts dans la Marine nationale… américaine !
Après s’être formé à Arts et Métiers, Alfred Eugène Colin quitte la France à la veille de la guerre de Sécession. Devenu ingénieur naval au sein de l’US Navy, il participe à plusieurs batailles décisives avant d’entamer une brillante carrière d’enseignant aux États-Unis. Portrait d’un visionnaire au destin exceptionnel. Tableau : Bataille de la baie de Mobile, par Louis Prang (1886), ©DR, comme toutes les images.
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Par Philippe Bréchon-Cornéry (Ch.172)
Publié le 2025-11-26

Alfred Eugène Colin naît à Paris le 22 avril 1839, fils de Pierre, graveur, et de Marie Lamy, jeune veuve avec un enfant. Il a un frère aîné, Henri Hippolyte, né en 1829, receveur des contributions à Paris.
Alfred fait ses études à Châlons de 1855 à 1858. D'après la liste générale de la Société des anciens élèves des écoles nationales d’Arts et Métiers de 1900, il part dès 1859 aux États-Unis. Et, effectivement, on le retrouve comme « machiniste » dans le recensement de 1860, dans l’East Village, au sud de Manhattan, à New York.
Extrait de la liste du personnel de l'US Navy de 1861.
Au 1er juillet 1861, il figure dans la liste du personnel de l'US Navy en tant qu’ingénieur naval de 3e classe.
LA GUERRE DE SÉCESSION
C'est le début de la guerre de Sécession et Alfred Colin est affecté à l'escadre de blocus de l'Atlantique du Nord sur le navire amiral : la frégate à vapeur USS Minnesota. Notre archi prend part à la guerre de Sécession !

Stèle en mémoire de l’équipage du vaisseau amiral USS Minnesota.

Le 28 août 1861, la frégate intervient dans la prise de l'estuaire de Hatteras, en Caroline du Nord. Cette victoire marque le début de l'invasion de la côte de cet État par la marine des Fédérés.
Le 18 décembre 1861, il est promu assistant-ingénieur de 2e classe.
C'est toujours à bord de l’USS Minnesota qu'il participe à la bataille de Hampton Roads (Virginie) les 8 et 9 mars 1862. Cette bataille est un tournant important dans l'histoire des marines militaires : pour la première fois, deux navires cuirassés s’affrontent.
Le Minnesota, navire en bois, tente de s'éloigner mais s'échoue.
L’INGÉNIEUR DU « CSS PIONEER »
Alfred est alors affecté à l'escadre de blocus du golfe du Mexique à bord du sloop à vapeur USS Ossipee (canonnière de 1 240 tonnes et de 11 canons, propulsée par des roues à aubes latérales).
En avril 1862, l’USS Ossipee contribue aux bombardements des forts Jackson et St. Philip, protégeant l’accès à La Nouvelle-Orléans. Cette dernière tombe aux mains des Fédérés.
Lors de cette bataille, les constructeurs Hunley et McClintock préfèrent saborder le sous-marin qu'ils avaient conçu pour les Confédérés. Ce dernier, le CSS Pioneer, est découvert par les troupes fédérales. Entre fin 1863 et début 1864, son expertise est confiée à l'ingénieur naval qui n’est autre que… Alfred Colin, affecté au sloop à vapeur USS Pensacola. Son rapport contient le « seul plan détaillé connu du CSS Pioneer ».

Le 5 août 1864, toujours à bord de l’USS Ossipee, il participe à la bataille de Mobile Bay (côte sud de l'Alabama), victoire décisive pour la flotte fédérale entraînant la défaite des États confédérés. En effet, la Confédération perd son dernier grand port lui permettant d’avoir une ouverture sur le reste du monde. La ville de Mobile, si elle reste entre ses mains, se voit dépossédée de tout intérêt stratégique.
Après cette dernière bataille, Alfred Colin est nommé professeur assistant de français au sein de l’US Navy. Il démissionne de ce poste le 27 novembre 1865.
UNE SECONDE VIE MOINS TUMULTUEUSE
Commence alors une nouvelle vie, moins tumultueuse, mais toujours bien remplie.
D'après la liste générale de 1900, Alfred Colin rejoint l'Académie navale américaine, située à Newport (Rhode Island), comme professeur de mécanique. Il est affecté à l’USS Marblehead, la première canonnière à vapeur d'entraînement utilisée par les cadets de la Navy. Il y restera jusqu'en 1872.
Le 28 juin 1871, il épouse, à New York, Henriette Louise Thérèse Fornachon, née en Suisse (1843-1913). Cette enseignante au parcours remarquable sera l'une des premières femmes à obtenir, en 1897, un doctorat (PhD).
À partir de 1872, il est directeur de l'École scientifique préparatoire aux académies militaires et navales (Sheffield School, School of Mines…) de New York. Sa carte de visite indique : « Professor Alfred Colin, formerly of the Corps of Engineers of the United States Navy, and Assistant Professor at the United States Naval Academy(1) ». Il y restera pendant une dizaine d'années.
En mars 1876, il publie un livre, Universal Metric System, qu'il destine aux candidats aux écoles scientifiques et techniques. Il y introduit le système décimal, qui nous est si familier et naturel, ainsi que les unités du système.
LE DÉFENSEUR D’ARTS ET MÉTIERS
L'exposition universelle de Philadelphie, de mai à décembre 1876, célèbre le centenaire de la Déclaration d'indépendance. Les Russes y présentent leurs écoles techniques, lesquelles soulèvent un enthousiasme général aux États-Unis.
Cela donne l'occasion à Alfred Colin de montrer tout son attachement à sa chère vieille École. Le National Journal of Education publie son courrier dans son numéro du 25 janvier 1877. Voici des extraits :

« Permettez-moi d'attirer l'attention des lecteurs du Journal sur ce qui est un terme impropre. Étant donné que la belle exposition des écoles techniques russes a montré aux écoles des sciences l'importance de la compétence manuelle, et que l'Institut [de technologie] du Massachusetts l'a introduite sous le nom de “plan russe”, il a tendance à être connu sous ce nom. Il serait difficile de déterminer depuis quand les travaux manuels font partie de l'enseignement technique en Europe. Mais il a sûrement été introduit en France, en privé, par La Rochefoucauld-Liancourt en 1788. Et quelques années plus tard, le gouvernement a poursuivi l'institution de La Rochefoucauld, à laquelle Napoléon, en 1803, a donné le nom qu'elle porte réellement – “Arts et Métiers”. […] Laissez-moi ajouter, étant moi-même diplômé de la plus ancienne école technique française, que je peux justifier que ces institutions enseignent les travaux pratiques, ce qui fait une bonne comparaison avec l’enseignement des écoles russes. Dans l'ensemble, je suis heureux de voir une telle instruction introduite, sous quel nom que ce soit. Mes remarques peuvent servir à ceux qui recherchent l'histoire de cet important départ dans l'éducation. »

En mars 1879, il s'adresse à la chambre de commerce de Newark (New Jersey) pour définir les bases et principes pratiques de la création d'une école technique dans la ville. Les fondamentaux reprennent l'essentiel de son article paru dans le National Journal of Education. Il donne aussi des cours de dessin et de conception au Metropolitan Museum of Art de New York.
UN PRÉCURSEUR DU TEMPS UNIVERSEL
En 1882, la revue française La Nature publie une correspondance sous sa signature : « Alfred Colin, New York », à propos du « système horaire universel ». Le Gadzarts y défend l’idée d'une heure unique pour toute la France (à cette époque, l'heure de Brest n'est pas celle de Nancy), neuf ans avant son adoption officielle en 1891, sous la pression des compagnies de chemins de fer. Il conclut : « L'heure cosmopolite, désignée par des lettres, sera une affaire à traiter par les savants. » Il anticipe ainsi de près de quatre-vingts ans la mise en place du temps universel coordonné (UTC), qui ne sera effectif qu'en 1960. Pas mal, l'archi !
Entre 1883 et 1887, Alfred est professeur tuteur à l'Académie libre de la ville de New York. En parallèle, il rachète en 1884, avec son épouse, le pensionnat protestant français des demoiselles Charbonnier, à New York.
LES DERNIÈRES ANNÉES
Alfred Colin s'installe en Californie vers 1890. Dans un premier temps, il est ingénieur-superviseur d'une société de traitement d'eau salée de San Francisco. Il reprend ensuite l'enseignement et, avec son épouse, dirige une école privée pour filles. Ils habitent au 530, Golden Gate Avenue, à San Francisco.
De 1895 à 1898, il suit sa femme en Pennsylvanie où il prend un poste de professeur, à Bryn Mawr.
En juillet 1899, le gouvernement français le nomme membre de la commission d'hydrographie dont la mission est d’analyser les moyens mis en œuvre dans les régions arides du Sud-Ouest américain. L'objectif est de perfectionner les méthodes d'irrigation en France et dans ses colonies. Ses résultats sont attendus pour la prochaine réunion annuelle de la commission.
C'est au cours de cette mission qu’il meurt d'une crise cardiaque, à Escondido, en Californie, le 10 mai 1900. Il est enterré au cimetière Oak Hill Memorial Park de cette ville.
Si l'on en croit le livre Misadventures of a Civil War Submarine(2), de James P. Delgado, Alfred Colin était membre d'une loge maçonnique.

Philippe Bréchon-Cornéry (Ch. 172)
(1) « Professeur Alfred Colin, précédemment du corps des ingénieurs de la marine des États-Unis, et professeur assistant à l'Académie navale des États-Unis ».
(2) « Mésaventure d'un sous-marin de la guerre civile » (ouvrage non traduit en français).